Le tour de l'Europe en neuf jours 

De tous les moyens de transport moldus, j’ai toujours trouvé que le train avait quelque chose … de magique.
Confortablement calé sur ma banquette, je profite de ce voyage aux côtés de Maddison. C’est la première fois qu’on part en vacances ensemble, et l’impression de liberté et de légèreté qui se dégage de cette idée est merveilleuse.

[...]

Ce que je pense des créatures magiques ? Bonne question… Je glisse mon index entre les pages de mon livre et réfléchis un court instant. Qu’est ce qu’elle entend par là exactement ? Il existe des centaines de créatures et je crains de ne pas être très calé sur le sujet.

C’est vaste comme question...

Je souris à Maddison en guise de ponctuation, lui laissant le temps de m’offrir plus de détails. Mais aucune explication ne vient et je finis par hausser les épaules. Je n’ai jamais eu d'aprioris par rapport aux créatures, qu’elles soient magiques ou non d’ailleurs.

Tu sais ma meilleure amie était un vampire. Pourquoi ?

Les vélanes ? Je hausse un sourcil. Bien sûr, j’en ai déjà entendu parler, mais pas plus que n’importe quel autre sorcier… Je secoue la tête et écoute les explications de Maddison avec attention, curieux de découvrir où elle veut en venir.

[...]

Mon regard fait l’aller-retour entre la bague qu’elle me montre à son doigt et son visage. Mes yeux s’écarquillent légèrement au moment où je me rends compte que sa question de toute à l’heure vient de prendre tout son sens.

Maddison est une vélane.

J’accuse la révélation en hochant la tête. Des dizaines de questions se bousculent dans ma tête, j’ai terriblement envie d’en savoir plus. J’ai besoin d’en savoir plus. J’ai besoin de comprendre.
Seulement, par où commencer ? La pauvre a l’air mal à l’aise, j’aimerais beaucoup la rassurer mais j’ai peur d’être maladroit.
Autant commencer par le début...

Tu… Tu l'as toujours su ?

J’écoute Maddison avec attention lorsqu'elle évoque son enfance, conscient de l’importance que ce sujet a pour elle. Ce n’est pas la première fois qu'elle me parle de l’orphelinat, et comme à chaque fois je ne peux pas m’empêcher d’éprouver une pointe de malaise.

J’essaie néanmoins de ne rien laisser paraître et ravale toutes les questions qui continuent à me brûler les lèvres.
Transformée… j’ai du mal à me représenter la scène. Honnêtement, j’ose à peine imaginer ce que j’aurais ressenti si une telle chose m’était arrivée à l’âge de seulement dix ans. Comment réagir ? Comment porter un tel secret alors qu’on n’est encore qu’un enfant ?

J’imagine que ça n’a pas du être facile…

Lorsqu’elle évoque sa bague, je glisse mes doigts entre les siens et les presse doucement.

Tu penses qu’ils sont vélanes tous les deux ?

Maddison ne m’a jamais vraiment parlé de ses parents. Et j'ai toujours respecté ce silence. Aujourd'hui, je suis touché qu’elle choisisse d’aborder ce sujet si personnel avec moi.

Surtout que je sais ce que c’est de partir en quête de ses origines. Pendant des années j’ai tenté de retrouver les traces d’un père fantôme qui n’avait ni nom, ni visage. Malheureusement je n’ai pas trouvé exactement ce que je cherchais en Malo Retrac, mais au moins je sais qui je suis et d’où je viens. Et je suis prêt à faire tout ce que je peux si Maddison souhaite un jour chercher à son tour ses racines. Est ce que c’est là qu’elle voulait en venir en amorçant cette conversation ?

Si c’est ce que tu veux, tu sais que je suis là pour t’aider...

Je lui offre un sourire encourageant. Bien sûr, ce ne sera pas facile, et la présence du dôme ne l’aidera pas. Comme j’aimerais pouvoir lui donner la possibilité de retourner en Australie ...

Je laisse Maddison rassembler ses pensées, l’observant silencieusement du coin de l'œil. Je ne la sens pas sereine, presque … inquiète ? Un instant, je me demande si c’est l’évocation de ses origines et de ses parents qui est la cause de ce malaise. Mais mes interrogations sont vite balayées lorsqu'elle reprend la parole.

Je fronce les sourcils pendant une fraction de seconde et resserre mon étreinte autour de ses doigts.
Ce qu’elle me confie est brutal. Inattendu. Dépérir pour avoir aimé ? Ça n'a aucun sens. C’est injuste. Cruel.
Je n’ai jamais entendu quelque chose d’aussi… incompréhensible. Aucun être vivant ne mérite de vivre sous une contrainte pareille.
Sous le choc, je cherche mes mots. Que répondre à ça ? Je me sens à la fois désolé et affreusement désarmé face à cette vérité douloureuse.
Il faut que je reprenne mes esprits, que je rassure Maddison et que je lui montre mon soutien.

Ne t’inquiète pas.

Je me penche vers elle et l’embrasse tendrement, comme pour lui prouver qu’avec moi elle ne risque rien. Je l’aime, et rien ni personne ne me l’enlèvera. Pas même une malédiction.

Si c'est vrai alors tu vas être immortelle…

Mon bras se referme autour des épaules de Maddison dans un geste qui se veut protecteur.

Ne t’en fais pas…

Je secoue la tête pour balayer ses excuses, mais dans le fond, je suis un peu plus troublé que je ne veux bien l’admettre. Je connais Maddison depuis presque dix ans et je ne me suis jamais douté de rien… D’un autre côté, je comprends qu’elle n’ait pas voulu en parler plus tôt. Vu ce qu’elle vient de me confier, je me doute que ça n’a pas dû être un secret facile à porter. Et je suis content qu’elle ait décidé de m’accorder sa confiance aujourd’hui.

Mon regard dévie vers la fenêtre. L’espace de quelques secondes, je regarde le paysage qui défile devant mes yeux sans vraiment le voir. Est-ce que les révélations de Maddy auront un impact sur nous deux ? Sur notre relation, notre futur ? J’espère que non.

Dis moi, est ce que… tu y penses souvent ?

Les premières phrases de Maddy font résonner un drôle d'écho en moi. Un sourire triste étire mes lèvres alors que je me reconnais dans sa propre histoire. Se méfier de tout le monde, ne jamais oser baisser sa garde, s’interdire de tisser de vrais liens, d’aimer… comme je comprends ce qu’elle a vécu.
Inconsciemment, mes doigts se crispent autour de son épaule. Je n’y aurais jamais cru le jour où je l'ai rencontrée, mais finalement, on a plus de points communs qu’il n’y paraît.

La suite de ses explications me remet du baume au coeur. Je chasse les souvenirs maussades de mon esprit et me décale pour pouvoir croiser son regard.

J'acquiesce sans hésiter.
Bien sûr qu’elle a eu raison.
Mille fois raison.

En guise de réponse, je me penche vers elle et l’embrasse tendrement.
Je ne doute pas de mes sentiments pour Maddison, mais savoir que son destin tient peut-être au creux de mes mains est déstabilisant. Intimidant.

Advienne que pourra…

Je finis par lâcher le livre que je tiens toujours dans mon autre main et laisse durer notre étreinte pour ne pas lui montrer mon trouble.

Non non, je suis content que tu me l'aie dit.

La réponse fuse sans hésitation. Non, je ne regrette pas les confidences de Maddison. Je suis même touché par la confiance qu’elle me témoigne en partageant cette information avec moi. Alors comment lui exprimer mes craintes ?

C’est juste que…

Mon regard dévie vers la fenêtre et se perd dans le paysage qui défile à toute allure.
Comme n’importe quel sorcier, j'ai déjà entendu parler des vélanes au moins une fois dans ma vie. Et ces croyances populaires, fondées ou non, tournent en boucle dans ma tête. Est-il possible que Maddison ait pu me charmer volontairement pour m'attirer à elle ? Est ce que mes sentiments à son égard ne sont finalement rien de plus que des dommages collatéraux nés d'une quelconque manipulation ? Ces pensées me fendent le cœur. C’est plus fort que moi, je me dégage de son étreinte et cherche à capter son regard.

… ce que je ressens, c’est réel ?

Ma voix baisse d’un ton, si bien que la fin de ma phrase se perd dans les bruits de roulement du train. Je me surprends presque à espérer que Maddison n’ait rien entendu, tant la réponse m’effraie. Et si tout ce qu’on avait vécu ensemble n’était qu’une illusion ?

Je reste silencieux quelques secondes après les explications de Madison. Les yeux rivés sur un point invisible quelque part entre son genou et la banquette du wagon, j'essaie d'assimiler ce qu'elle vient de me confier. Est ce que je suis rassuré ? Un peu. Peut-être. J'ai beau être né legilimens, imaginer qu'on puisse manipuler les émotions des autres me met étrangement mal à l'aise…

Jouer avec l'amour n'est pas un sujet qui me laisse insensible.
Je repense malgré moi à Malo, à ce père que j'ai passé la moitié de ma vie à chercher. Qui a fait semblant de m'aimer pour mieux m'utiliser. Qui m'a trahi. Manipulé. Qui a fini par séquestrer Maddison.

Malo. Maddison.

Est ce que …? Non. Non non non.
Un douloureux pressentiment fait irruption dans mon esprit. Ce n'est d'abord rien de plus qu'une idée vague et absurde, mais qui devient rapidement entêtante. Écrasante.

Je relève lentement le regard vers ma compagne et la dévisage d'un air interdit. J'hésite à articuler la question qui me brûle les lèvres...

Est ce que tu l'as déjà fait ? Charmé quelqu'un intentionnellement ?

J'essaie de prendre un ton innocent, mais je sais au fond de moi que je risque d'emmener notre conversation vers un terrain glissant…

Maddison, dis-moi que je me trompe.

Mon coeur se serre. Je m’attendais à une telle réponse, et bien loin d’étouffer mes craintes, cela ne fait que les attiser un peu plus. Je déteste imaginer Maddison dans un tel rôle. Je n’ai pas envie de la voir comme une manipulatrice sans cœur. Ça me fait mal.

Et pourtant, ce qu’elle m’explique sonne familièrement à mes oreilles. Moi aussi je suis né avec un don. J’entendais des choses que je n’étais pas censé entendre, et je sentais des choses que je n’étais pas censé sentir. C’était naturel, spontané, bien loin d’être conscient ou volontaire. Il m’a fallu des années avant de mettre un nom sur cette particularité, et d’apprendre à la maîtriser au lieu de la subir. Combien de fois est-ce que j’ai haï d'être né avec ce fardeau…
Je comprends tellement ce que dit Maddison. Je ne peux ni la juger, ni lui en vouloir. Alors pourquoi cette pointe de gêne refuse de disparaître ?

Sa dernière phrase m’arrache à mes pensées. Je lui jette un coup d'œil, surpris par l’amertume dans sa voix. J’essaye de capter son regard mais elle reste obstinément tournée vers la fenêtre, sans donner plus d’explications à son allusion. Pas besoin d’être legilimens pour deviner le malaise qui s’installe.

Pardon, je ne voulais pas que tu penses ça…

Je ne suis pas tellement doué avec les mots, et la fragilité que dévoile Maddison me laisse démuni. Je comprends son doute, et je m’en veux d’avoir mis le doigt dessus en posant ma dernière question.

Maddi, tu es intelligente, sincère, courageuse, je t’assure que tu mérites toutes les belles choses qui te sont arrivées.
Et même si ta nature de Vélane t’avait un peu aidée… est-ce que ce serait vraiment si grave que ça ?

Je me retiens de soupirer de soulagement. Même si je ne suis pas sûr d’avoir réussi à convaincre totalement Maddison, la situation semble s'être un peu désamorcée. Tant mieux. Je n’aimais pas la tournure que prenait cette discussion, ni cette tension naissante entre nous.

Je baisse les yeux sur ses mains. Leur chaleur est réconfortante. Malgré tout, je reste troublé. Bien sûr que je vais me poser d’autres questions. Ce soir, cette nuit, demain, dès que mon esprit ne sera pas occupé à penser à autre chose. Je vais ressasser cette conversation en boucle, imaginer des dizaines de scénarios improbables jusqu’à me retrouver empêtré dans mes propres ténèbres.
Mais Maddison me connaît, elle sait que j’ai du mal à parler de ce que je ressens et que je préfère me murer dans le silence plutôt que d’aborder les choses de manière frontale avec les gens.

Un sourire coupable étire le coin de mes lèvres. Je me force à hocher la tête. Intérieurement, je me fais la promesse de lui parler ouvertement de ce sujet si j’en ai besoin.

J’y penserai. Promis.

Sous nos pieds, le roulis du train ralentit progressivement. Absorbé par notre conversation, je n’avais même pas réalisé que le train approchait de sa destination. À mon tour, je serre les mains de Maddison dans les miennes, comme pour ponctuer la fin de cette discussion.
Je dois avouer que l’idée de sortir de ce train et de penser à autre chose n’est pas pour me déplaire.